vendredi 12 avril 2024

Qu'est-ce que le yoga ?

Valkyrie en état de yoga


Les variétés de yoga sont nombreuses aujourd'hui.

Mais en Inde ?

Nombreuses aussi.

Aujourd'hui, le yoga de Patanjali est ses fameux "Yoga Sûtras" sont pris pour référence au yoga.

Pourtant, sa vision du yoga va à l'encontre de la plupart des yogas indiens.

En effet, le mot sanskrit yoga signifie "union", le fait de mettre, placer ou tenir deux entités ensemble. Selon la plupart des traditions, shaiva ou vaishnava, cette union est celle de l'âme individuelle avec l'âme créatrice, divine. Le yoga est donc l'état d'union de l'individu avec sa source divine.

Or, pour Patanjali, au contraire, le yoga n'est pas union, mais séparation, vi-yoga (par ex. 4, 34). Il s'agit d'arriver à un état d'immobilité totale du corps, du souffle et de l'esprit afin de réaliser que nous avons toujours été séparé de tout, car nous sommes pure conscience, témoin des choses. C'est par confusion entre les deux que nous croyons que nous bougeons, nous agissons, nous pensons. En réalité, nous sommes les témoins de tout cela. Rien de plus. Le yoga consiste alors à voir cette éternelle séparation, à réaliser que nous sommes séparés de tout, kaivalya.

Ce "yoga" est donc, en réalité, l'opposé du yoga !

Dans le véritable yoga, il y a certes un moment de séparation : le moment où l'on réalise que la conscience, le Moi, notre vraie nature, ne se réduit pas au corps ni à une personnalité. Cependant, cette séparation n'est qu'un moment en vue de l'union avec le divin, et non le but final.

De fait, il y a bien d'autres conceptions du yoga.

Pour Patanjali, le yoga est donc cet état de séparation absolue et définitive, ainsi que la méthode pour y parvenir.

Pour les jainas, il s'agit aussi d'arriver à un état de séparation entre la conscience et la matière subtile, le karma.

Pour d'autres, le yoga est un état de parfaite concentration, samâdhi.

Selon le shivaïsme du Cachemire, le yoga est un moyen d'adorer le divin, une sorte de rituel intérieur. De même, les vaishnavas. C'est le yoga comme état d'union au divin, et c'est là la vision majoritaire du yoga, presque complètement oubliée aujourd'hui.

Selon Gorakhnâth, fondateur du hatha-yoga, le yoga est l'union des contraires, notamment l'union de l'inspir et de l'expir.

Selon le Tantra, le yoga est la Shakti, la puissance divine, et non une voie ou une méthode spirituelle. Yoga désigne aussi shiva-jnâna, la connaissance divine.

Selon le Tantra non-duel enfin, le yoga est l'éveil à la non-dualité : l'union a toujours été le cas, et la séparation n'est qu'une illusion qui fait partie du libre jeu de la conscience.

Il y a donc bien des visions variées au-delà de Patanjali !

Bien des trésors restent encore à découvrir.

mercredi 27 mars 2024

L'enseignement le plus choquant du Tantra ?


Vous croyez que les enseignements les plus transgressifs du Tantra sont le yoga sexuel ou le cannibalisme ? 

Détrompez-vous !

Voici l'idée la plus difficile à admettre transmise par le Tantra :

Selon le Tantra, l'ignorance, avidyâ, est la cause de toutes les souffrances. 

Jusque-là, le Tantra semble enseigner la même chose que les autres traditions de l'Inde.

Mais il y a deux sortes d'ignorances selon la révélation shaiva (=Tantra) :

- l'ignorance conceptuelle, les fausses croyances.

- l'ignorance non-conceptuelle, l'angoisse fondamentale, la contraction originelle.

Or, cette dernière sorte d'ignorance n'est pas causée par le mental, car elle intervient avant le mental, lequel n'en est qu'un effet. Donc, la connaissance conceptuelle ne peut rien contre cette ignorance plus subtile que le mental.

Aujourd'hui, la plupart des enseignements non-dualistes affirment que le "mental" et ses "concepts" sont la cause du "sentiment de séparation", qui est la cause de toutes les souffrances.

Le Tantra enseigne que cette ignorance mentale n'est pas la cause du sentiment de séparation. C'est, au contraire, ce sentiment qui est la cause des fausses croyances et autres concepts erronés. La connaissance mentale ne peut donc éradiquer cette ignorance subtile, plus subtile que le mental.

Mais alors, d'où vient le sentiment de séparation, cette ignorance subtile qui est plutôt une sensation vague, qu'une croyance ? 

Elle vient de la Source, directement. La conscience universelle choisit, librement, de se contracter.

Oui, vous avez bien lu. Seule la conscience se contracte (=s'ignore, s'oublie) et donc, en toute logique, elle seule peut se décontracter, s'éveiller. C'est la grâce. En elle-même, aucune connaissance conceptuelle et aucune pratique ne peuvent faire cela. 

Certes, cette idée est difficile à admettre. Car alors, comment s'éveiller ? Si cela ne dépend d'aucune de mes facultés individuelles, mais seulement de la conscience universelle, que faire ?

Notez la cohérence de ce message : Si "tout est conscience", une et même, alors l'ignorance, la contraction, le sentiment de séparation, la dualité, ne peut venir que de la Source elle-même, car il n'y a pas d'autre source, pas d'autre cause.

Alors, que faire ?

samedi 16 mars 2024

Qui était Ramana Maharshi ?

Ramana et Ganapati : amis ou ennemis ?

Ramana est le "sage" indien le plus important di XXème siècle. Chaque jour son influence grandit. Dans un monde dominé par les écrans limités, il attirait l'attention sur l'Ecran sans limites dans lequel apparaissent tous ces écrans limités.

De plus, il a vécu une vie simple en accord avec ses enseignements. Dans un pays où les gourous font souvent scandale, Ramana se démarque par sa cohérence.

Cependant, les interprétations de son enseignement sont diverses et parfois opposées.

En schématisant, deux camps apparaissent :

- A une extrémité, les partisans du Vedânta. Les deux principaux représentants de cette ligne sont Muruganar et Lakshman Sharma. Ils ont tous les deux composés des oeuvres écrites sous la supervision de Ramana.

- A l'autre extrémité, les partisans du Tantra. Les deux principaux représentants de cette ligne sont Ganapati Muni et Kapali Shastri. Eux aussi ont composé des oeuvres écrites sous la supervision de Ramana.

Entre les deux, on trouve les oeuvres rédigées par Ramana lui-même. La principale et la plus sûr est l'Upadesha-sâra, l'Essence de l'enseignement (de Ramana). C'est pourquoi j'ai choisi de principalement traduire cette oeuvre dans mon recueil d'Œuvre sanskrites de Ramana, paru chez Almora.

Cependant, il reste les autres œuvres, composées par des auteurs "autorisés" par Ramana et son ashram (organisation), mais qui présentent des visions contradictoires.

Sans entrer dans les détails, le problème principal qui les divise est le suivant :

- Le monde est-il une illusion destinée à disparaître après l'éveil (Vedânta) ? Ou bien est-il une manifestation de l'absolu, manifestation destinée à être transformé par l'éveil spirituel (Tantra) ?

Les implication éthiques sont importantes. Ce ne sont pas des questions creuses. Ramana a dit, rapporte-t-on, que Hitler était peut-être un éveillé et un instrument du Divin. Il a dit aussi que, même si "cinq millions de personnes sont massacrées, cela laisse l'éveillé indifférent". Pourtant, il était plein de compassion pour les animaux.

Comment expliquer ces affirmations et ces comportements ?

Quel est le véritable message de Ramana ?

A ma connaissance, il n'existe pas d'étude vraiment complète sur la question. La plupart des interprètes sont partisans d'un camp ou de l'autre.

A la suite de mon premier livre sur Ramana, j'ai donc le projet d'en écrire au moins deux autres : Un sur l'interprétation védântique de Ramana ; et l'autre sur son interprétation tantrique.

lundi 11 mars 2024

Quelles sont les méthodes du Tantra ?


 Dans cette entrevue récente, le Swami Sarvapriyananda, excellent enseignant de l'Advaita Vedânta, décrit les méthodes (upâya) du Tantra :

vidéo

Ses définitions ne sont pas exactes. Selon lui l'Anupâya ou Non-méthode est le Yoga de la Connaissance, jnâna-yoga. Le Shâmbhava-upâya ou Méthode de Shiva est aussi Yoga de la Connaissance car il consiste à méditer sur des formules telles que "Je suis Shiva". Le Shâkta-upâya ou Méthode du Pouvoir consiste à méditer et réciter des Mantras. Enfin, l'Ânava-upâya ou Méthode de l'Individu consiste à pratiquer tout le reste : yoga, rituels, dévotion, etc.

Cette description est erronée. Il est important de rectifier, car des erreurs circulent depuis longtemps. Déjà, le Swami Lakshman Joo et Lilian Silburn avaient commis ces erreurs.

Abhinava Gupta est le maître qui a le plus développé l'enseignement sur ces quatre Méthodes ou Moyens. Dans son Tantra-âloka, il les définit ainsi :

1 - An-upâya ou Non-Méthode est aussi appelé Alpa-upâya ou Méthode minimaliste ; ou encore Âtma-upâya "Prendre le Soi comme moyen" ou, enfin, Ânanda-upâya "Prendre le plaisir comme méthode", le plaisir étant la Présence (caitanya) elle-même. Cette approche consiste donc à prendre le but comme moyen. Mais il ne s'agit pas d'une absence totale de moyens. Le Tantra, de manière générale, exclut rarement. Concrètement, cette Méthode est celle de la bhakti ou amour divin. C'est approche mystique, directe dans son rapport à l'absolu, mais qui est graduellement dans la manifestation de ses effets. Son enseignement est une sorte de Yoga de la Connaissance, mais épuré à quelques affirmations du genre "La réalisation spirituelle ne dépend pas des méthodes, ce sont les méthodes qui dépendent de la réalisation spirituelle", presque comme des koâns.

2 - Shâmbhava-upâya, aussi appelé Icchâ-upâya ou "Prendre l'élan avant les pensées, comme moyen". Ce moyen est comme le précédent, mais il met davantaga l'accent sur l'énergie et quelques symboles, principalement l'alphabet. 

Le Moyen 1 est Shiva, le 2 est plus Shakti.Mais ils sont proches dans le style épuré et minimaliste.

3 - Shâkta-upâya est aussi appelé Jnâna-upâya ou "Prendre le pouvoir de connaissance, comme moyen (pour s'éveiller)". Il est le Yoga de la Connaissance, c'est-à-dire la philosophie, le travail sur les croyances. Il consiste à examiner les fausses croyances pour les remplacer, peu à peu, par des croyances vraies qui ne font plus obstacles à l'attention à soi. Selon le Tantra, en effet, toutes les croyances ne sont pas à rejeter. Certaines sont compatibles avec l'éveil et expriment la vérité, comme par exemple "Je suis Shiva".

4 - Ânava-upâya aussi appelé Kriyâ-upâya ou "Prendre l'activité comme moyen" regroupe TOUTES les autres pratiques : yoga, méditation,  respiration, Mantras, rituels, danse, chant, mais aussi le yoga "sexuel" et autres pratiques transgressives. Autant dire, 99% des pratiques, que ce soit dans le Tantra ou hors du Tantra (en effet, selon le Tantra, toutes les autres traditions sont des préparation au Tantra, qui lui-même comporte différentes étapes ou degré de dévoilement de la vérité complète).

Vous pouvez maintenant comparer les deux définition, et aussi les comparer avec le Tantrâloka lui-même, si vous souhaitez approfondir.

Ces Moyens ne sont pas absolument hiérarchisés. Le 4 est "L'Individu comme moyen", mais attention ! Le Tantra ne méprise pas l'âme individuelle. Et dans sa tradition ultime, appelée Trika ou Triade, l'Individu est l'un des trois Mystères sacrés, à égalité avec Shiva et Shakti. De fait, ce "Moyen" qui regroupe 99% des pratiques comporte les pratiques les plus puissantes, appelées "absolues" (anuttara) car elles débouchent directement sur l'éveil.

Pour conclure, notons donc clairement en nos esprits que, selon le Tantra, l'éveil est possible à tout instant, pour n'importe qui, indépendamment de la Méthode, des pratiques ou de leur absence, sans dépendre du karma. Il n'y a qu'une seule Déesse, et elle est absolument libre. La liberté ne dépend pas du karma ; c'est le karma qui dépend de la liberté.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...